Insights
12 mai, 2022
Insights
12 mai, 2022
Par
Fabien Loszach
En avril, Netflix a annoncé une réduction du nombre de ses abonnés (- 200 000 dans le monde); une première pour l’entreprise en une décennie. Dans la foulée, le cours de l'action de Netflix a chuté de 35 %. Si elle se négociait encore aux alentours des 600$ US l’an dernier, elle ne vaut actuellement plus que 180 USD.
Peut-être parce que Netflix est un peu le “Kleenex” de la diffusion en continu. C’est une marque si dominante qu’elle incarne un peu la catégorie.
Dans le monde entier, Netflix compte 220 millions d’abonnés. La moitié des foyers américains et canadiens sont abonnées au service. Aux États-Unis encore, Netflix représente 6,4% du temps passé devant la TV ; loin devant tous ses compétiteurs (seul YouTube avec 5.7% s’en rapproche)Mais avec ces mauvais résultats, c’est sûrement la fin d’une ère de croissance sans partage pour l’entreprise, qui va devoir revoir ses fondamentaux.
Avant de les expliquer, il faut tout d’abord les relativiser un peu pour éviter de sauter trop vite aux conclusions. L’entreprise a certes perdu des abonnés, mais elle en avait gagné beaucoup pendant la pandémie. Elle avait même ajouté plus de 8 millions de clients au cours des trois derniers mois de 2021. Le marché s’attendait donc à une correction.
Netflix a aussi été prise dans une logique de croissance qui a caractérisé l’économie du numérique depuis le milieu des années 2000. Cette logique consiste à offrir des services de très haute qualité, à perte, pour agrandir sa base d’abonnés et dominer le marché (comme Amazon, Facebook, Uber, etc.). Netflix a tenu cette promesse pendant une décennie voyant ainsi son action augmenter de près de 6 000 % au cours des 10 dernières années.
Lors du dévoilement des états financiers en avril dernier, Reed Hastings, le patron de Netflix a publié une lettre aux actionnaires qui porte un regard assez réaliste sur la situation.
Dans cette lettre, Reed Hastings attribue cette contre-performance à quatre facteurs:
Netflix souligne que ces mauvais résultats sont en partie attribuables à la guerre en Ukraine. Netflix s’est retiré du marché russe suite à l’invasion de l’Ukraine, ce qui lui a fait perdre 700 000 abonnés. S’il n’y avait pas eu cette guerre, Netflix souligne que l’entreprise aurait connu une croissance de 200 000 utilisateurs.
Mais même là, on est loin des chiffres des années précédentes où Netflix avait ajouté environ 26 millions de clients par an au cours des cinq dernières années.
Les études montrent que l’adoption des TV connectées ou télé intelligentes est en ralentissement. Ce marché est saturé puisque presque tout le monde a désormais une télé connectée à la maison et on n’en achète pas tous les ans.
Ces télés sont très importantes pour Netflix puisque l’application fonctionne comme un produit d’appel pour leur vente : l’application est souvent installée par défaut sur ces télés et dans le meilleur des cas, il y a un bouton Netflix sur la télécommande.
Reed Hasting estime qu’en plus de ses 200 millions d’abonnés dans le monde, c’est 100 millions de foyers supplémentaires qui accèdent à Netflix par le biais du partage de mots de passe. Pendant des années, Netflix a tacitement autorisé cette pratique. Elle l’a même intégré dans sa structure de prix en permettant l’utilisation de plusieurs appareils en même temps.
Mais maintenant qu’il y a une pression financière sur la compagnie, ce laisser-faire va sûrement disparaître. Netflix expérimente de nouvelles solutions.En Amérique du Sud par exemple, l’entreprise a commencé à demander aux abonnés de payer un petit supplément, environ 3 $ par mois quand les abonnés partagent Netflix avec des personnes en dehors de leur foyer.
Netflix est le premier service du genre à être arrivé sur le marché et son succès a inspiré toutes les autres grandes entreprises de médias à revoir leur stratégie.
Disney, Warner et NBC Universal ont tous investi sur des modèles similaires à Netflix. À cela s’ajoute une constellation de plus petits acteurs qui se consacrent à des publics de niche. Les cinéphiles ont MUBI et Criterion ; les fans d’horreur Shudder ; pour les passionnés d’anime, il y a Crunchyroll et Funimation. Et puis il y a aussi des concurrents non habitués à produire du contenu qui sont arrivés sur le marché comme Apple+ et Amazon.
Wall Street et les investisseurs ont encouragé ces acteurs à dépenser beaucoup d’argent pour créer de nouveaux contenus et à rapatrier leur catalogue qu’ils vendaient sous licence à Netflix. Disney a rapatrié les films Marvel et Star Wars, Warner a repris ses classiques cinématographiques dans certaines régions (Batman, Seigneur des anneaux, etc.), CBS a retiré ses séries. Résultat: Le catalogue de films de Netflix a diminué de 40 % depuis 2014.
Netflix a anticipé cette situation en développant son propre catalogue de contenu propriétaire (les fameux Netflix originals). Problème : pour produire ces contenus, Netflix a besoin de beaucoup d’argent. L’entreprise a donc fortement augmenté ses frais mensuels dans le monde entier. Ce qui a aussi participé d’une certaine manière à l’exode de la plateforme.
Netflix ne va pas changer son modèle d’affaires et va continuer à produire et offrir du contenu original à très forte valeur ajoutée ( pour le grand public et les publics plus nichés). Les concurrents majeurs comme Apple et Amazon étant sur ce même positionnement, Netflix ne peut pas l’abandonner.
La croissance du nombre d’abonnés va sûrement être beaucoup plus difficile à aller chercher, il va falloir maintenant veiller à consolider la base d’abonnés tout en trouvant des solutions pour augmenter les revenus et ainsi satisfaire les actionnaires.
Netflix réfléchit à lancer une offre moins chère qui serait en partie financée par la publicité. Cette solution, si elle intéressait les ménages les plus pauvres, pourrait fortement aliéner les plus riches. Quant aux annonceurs, ils salivent déjà.
Autre solution, augmenter les prix: mais plus la concurrence est rude, moins il devient facile d’augmenter le prix de l’abonnement… Surtout que comme on l’a vu, Netflix a déjà beaucoup augmenté ses prix dans les dernières années.
Netflix pourrait enfin diversifier son offre de contenu. Des concurrents tels qu’Amazon, Apple et Disney ont cherché à inclure le sport, les nouvelles et les événements en direct dans leurs forfaits.
Autre opportunité, le jeu: La plateforme a commencé à développer une offre de streaming de jeux vidéo pour diversifier ses revenus. Netflix prévoit avoir 50 jeux disponibles d’ici la fin de l’année.